Par Patrick Sorrel, philothérapeute dans notre centre

Je m’appelle Patrick Sorrel, je suis philothérapeute : j’analyse, en partenariat avec la personne qui me demande un accompagnement, le système de croyances qui la freine dans ses aspirations et celui qui peut au contraire la porter et la guider. Je tiens cette appétence pour le questionnement de mes quinze années d’enseignement de la philosophie, et déjà à ce moment je m’apercevais que les élèves qui ne rentraient pas dans le moule « intellectuel » que l’on demande au lycée avaient souvent tendance à se remettre en question, voire à tenter de manière plus ou moins désespérée de se travestir pour correspondre à des attentes qu’ils ne comprenaient pas.  

C’étaient souvent des personnes avec une intelligence en arborescence plutôt que linéaire, des personnes qui pouvaient m’épater pat la maturité de leurs réflexions philosophiques ou existentielles, mais qui malheureusement ne parvenaient pas toujours à comprendre la subtilité – pour ne pas dire stupidité – des exercices techniques qu’on leur demandait de reproduire de manière très ciblée et précise : « c’est comme ça qu’il faut faire ». Même en philosophie on leur demandait ça, pour avoir une note convenable au BAC ! Cela a grandement contribué à me faire migrer de l’enseignement public à la création d’une école privée hors-contrat, puis d’un cabinet de philothérapie. 

Depuis quelques années, je suis donc sorti des bancs du lycée pour accompagner les personnes qui veulent donner du sens à ce qu’elles vivent, et je m’aperçois qu’une grande partie des gens qui viennent me voir ressemblent beaucoup à ces élèves qui ne pouvaient jamais se contenter d’appliquer une méthode toute faite, mais qui demandaient en permanence à comprendre le pourquoi des choses, quitte à énerver profondément certains de mes collègues. 

« Pourquoi viennent-elles me voir moi ? » me suis-je demandé au départ. Question rhétorique évidemment, car je suis en résonance avec les personnes que j’accompagne, et c’est bien pour cela que je peux leur être d’une quelconque utilité. Moi non plus je ne me suis jamais contenté d’appliquer des recettes toutes faites, moi aussi j’ai passé des heures à questionner tel ou tel théorème mathématique, moi aussi je me suis souvent senti étranger parmi mes collègues humains, de l’école primaire aux bancs de la fac, puis dans les lycées où j’enseignais, fuyant souvent la salle des profs comme si j’étais soudain pris d’une sorte de « phobie scolaire » dès que je mettais un pied dans ce drôle d’univers. 

La phobie scolaire des élèves est un symptôme dont les causes peuvent être variées bien sûr, mais je crois qu’elle repose très souvent sur un sentiment d’exclusion, d’incompréhension, de non reconnaissance de la personne dite « atypique ». Se sentir étranger parmi ses frères et sœurs, se sentir en danger dans la relation ou dans la foule, c’est encore un sentiment que je connais bien, pour l’avoir longtemps et intensément exploré dans ma jeunesse. 

A-t-il vraiment disparu aujourd’hui que je suis grand, aujourd’hui que je suis « installé » ? Pas totalement, je dois bien l’avouer. Ce sentiment réapparaît régulièrement quand je suis pris dans une foule indistincte et dépersonnalisée, quand je ne parviens pas à saisir la particularité des gens mais seulement leur appartenance à une masse qui pourrait m’écraser par son aveugle puissance : dans les grandes surfaces, les files d’attentes géantes ou les fourmilières d’automobiles, les jours de départ en vacances ou d’entrée dans notre chère agglomération grenobloise de bon matin. 

Au contraire, quand je suis face à un être humain qui me confie sa vulnérabilité, un être humain qui cherche à comprendre, qui se pose des questions puis qui réalise avec moi à quel point les réponses ne peuvent valoir que pour lui parce qu’il est absolument particulier : alors je me sens chez moi, paradoxalement. Je me sens à l’aise dans l’atypie, dans la singularité, dans la particularité de cet être qui est seul, entièrement seul à pouvoir trouver les solutions aux problématiques qu’il rencontre. Je me sens en sécurité face à un être qui cesse de vouloir se conformer à des normes qui ne lui correspondent pas, mais qui réalise tout à coup que c’est à lui de tracer son chemin, d’apprendre à se connaître pour pouvoir « devenir qui il est », comme le dit si bien Nietzsche. 

Alors je me sens utile, beaucoup plus utile encore que sur l’estrade des lycées où j’enseignais, malgré le nombre beaucoup plus petit de personnes que je peux toucher, que je peux accompagner.

Pourquoi ? 

Parce que je n’ai plus aucune méthode à inculquer à cet être humain qui est en face de moi, je n’ai même pas l’ombre d’une méthode pour guider notre interaction. Je n’ai qu’un outil au fond, le plus important, celui qui m’a toujours énormément plu, et qui faisait tant suer mes profs ou mes parents.

Le questionnement. 

Et ensemble, en se posant les bonnes questions – c’est-à-dire celles qui permettent à une personne unique d’aller au fond de sa spécificité – on parvient toujours, au bout d’une heure et quelques, à éclairer la nature très particulière du système de croyances qui s’est construit au fil des expériences de vie, des rencontres et des accidents. A chaque fois c’est un nouvel Univers qui se découvre timidement devant mes yeux ébahis, à chaque fois c’est une nouvelle colline sur laquelle je monte pour explorer le paysage. 

Pas d’étiquettes toutes faites, pas de diagnostic plaqué sur la personne, mais une exploration presque ethnologique : en terrain inconnu. « Comment tu penses, toi ? » serait la question qui se rapprocherait le plus de ce que je tente de mettre en place à chaque nouvelle rencontre, à chaque nouvel accompagnement. Et cette question est, pour moi, la plus passionnante de toutes les questions que je peux me poser. Et personne, non, plus personne ne peut venir me dire d’arrêter de poser des questions existentielles qui n’ont ni fin ni réponse, car maintenant je sais que j’ai le droit de le faire, dans le cadre de mon métier. Et que les réponses arrivent, tôt ou tard, de la bouche de la personne que je questionne. Pas des vérités universelles, non : des réponses, particulières et uniques. 

Et bien je l’avoue sans honte : cela me rend vraiment heureux de continuer tout le temps à tout questionner ! 

Patrick Sorrel

Philothérapeute au centre Arc-en-ciel à Grenoble

www.patricksorrel.com

0610998934

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